Le peuple des pyjamas au pays des coquillettes

Benoît Piéron a une grande partie de sa vie été un voyageur immobile, cantonné à rêver et s’évader depuis les salles d’attente et les lits d’hôpitaux. De cette fréquentation des institutions médicales, de sa connaissance intime de la vulnérabilité et de la nécessité du partage des récits de corps différents, il crée des œuvres puissantes et délicates, où les couleurs pastel des draps réformés côtoient des boules à neige-médicaments, des porte-seringues disco, des veilleuses gyrophares et des chauve-souris de chevet... Autant de formes qui permettent de déjouer la morosité d’un univers clinique où l’on vit en pyjama et mange des coquillettes.

Dans un contexte où les institutions artistiques prennent conscience de leurs manquements en termes d’accessibilité et d’inclusion, Benoît Piéron a très largement été invité à exposer son travail, dans des centres d’art, musées et galeries de France, d’Europe et au-delà. Cette visibilité, ces productions et ces voyages se sont paradoxalement parfois faits au détriment de sa santé et de son énergie, l’incitant désormais à entamer une nouvelle phase de son travail, davantage centrée sur la transmission et les échanges, pour créer des processus collectifs et fédérateurs. C’est dans cette démarche que, suite à son invitation aux Capucins, il décide progressivement de partager l’invitation et de couper le gâteau en six parts. Cette volonté de partage correspond pour lui à un principe de « droit à l’exposition », de la même façon qu’on parle de « droit au logement » : une démultiplication de la visibilité pour contrer les logiques individuelles de starification des artistes, ces génies masculins, solitaires et torturés qui peuplent l’histoire de l’art traditionnelle. On n’est jamais seul·e à vivre quelque chose ou à réfléchir à un sujet, alors autant s’allier avec celles et ceux qui nous complètent pour faire avancer et complexifier les discussions.

Les autres parts de gâteau reviennent à cinq artistes avec qui Benoît Piéron partage des thèmes, des médiums et des intuitions : Marion Lebbe, dont les tableaux et dessins abordent la productivité, artistique et professionnelle, et surtout son empêchement ; Marguerite Maréchal, dont les sculptures volontairement fragiles déjouent la verticalisation de l’architecture et les injonctions au redressement des corps ; Milana Gabriel, qui instille le trouble entre folklore, nostalgie et violence ; Arthur Ménard-Salis, dont les costumes-paysages interrogent les rapports entre ornement et performances de genre ; et Adrien Fregosi dont les dessins et peintures à l’aérosol rendent, d’un geste aussi immédiat que sûr, la colère, l’humour et la mélancolie d’une expérience de l’art et de la maladie. Ces pratiques, si elles abordent souvent des questions déchirantes et révoltantes qui traversent les parcours individuels et les consciences collectives, ont en commun une approche formelle parfois pop, volontiers joueuse, proche du quotidien, avec une conscience de la fragilité et une irrévérence dans la mollesse.